Nathalie Pillet : paroles d'une auteure fan (d'Etienne)
L’écrivaine Nathalie
Pillet est une pop-addict et sa cosmogonie personnelle comprend un objet céleste nommé Etienne
Daho. Nous avons des icônes en commun.
Nathalie a sorti fin décembre 2018, chez l’éditeur
qui ne véhicule pas que du rock Camion Blanc, un recueil de témoignages ouvertement
dédié à l’artisan pop nomade né à Oran. Le livre paraît dans la collection Paroles
de Fans. Un recueil d’autant plus remarquable
que le french King of pop a mis la main à la pâte : Daho participe directement à l’aventure, et parsème de
son commentaire les écritures de Nathalie, nourries de multiples témoignages de
fans, de France comme de Navarre, et de
tous horizons. C’est un livre de ressentis et émotions diverses, souvent à fleur de peau.
Le présent entretien
ne doit rien au hasard. Nathalie m'a fait honneur en acceptant que je fasse partie des témoins et le résultat qu’elle a produit, tant en qualité qu’en quantité, ne me rend que plus fier d'en être. Découvrez
ici-même l’arrière-cuisine de son expérience personnelle dans l’écriture de ce Paroles de Fans : une expérience
exigeante, et au fil de laquelle se dessine un autre portrait d'ED : celui d'un Daho
qui vit en Nathalie et en chacun de nous. Une autre vie : celle que nous lui
volons, celle qu’il nous a donnée.
Nathalie, tu as consacré
plus d’un an à la confection de cet ouvrage sur Daho pour Camion Blanc. Tu as
pour ce fait preuve de méthode :
tri des innombrables bonnes volontés ayant émergé parmi les fans, élaboration d’un
questionnaire fouillé, dissection de l’ensemble des réponses puis, au gré de
ton écriture personnelle, agencement des regards des adeptes. Un puzzle minutieux et sensible. Te
rappelles-tu d’abord de la manière dont tu as élaboré le questionnaire et à
travers lui, j’imagine, le plan du livre ? Les axes se sont-ils définis aisément
ou gardes-tu de cette période un sentiment de flottement, de tâtonnement ?
Nathalie
Pillet : Le moins que je puisse dire est qu’il m’aura fallu, en effet, être organisée – voire hyper structurée – pour mener à bien ce projet très
particulier et un peu dingue…
En
amont, et comme tu l’as dit, j’ai dû travailler à la rédaction du
questionnaire. Par chance (pas de hasard…),
ce travail s’est fait au moment de la sortie et de la promotion de l’album Blitz (NDLA : opus d’ED sorti fin 2017). J’avais donc pléthore de
sources à ma disposition. Je me souviens que la revue de presse que j’avais
constituée rassemblait plus de cent cinquante pages d’articles et d’interviews.
J’ai, par ailleurs, écouté tous les passages radio d’Étienne et visionné chaque
émission télévisée où il était invité. J’ai ainsi pu glaner, de-ci, de-là, quelques
nouvelles perspectives, affiner certains points même si je disposais, d’ores et
déjà, de la plus grande partie des informations. Le questionnaire qui en
ressortit fut, de fait, assez conséquent : cinquante-cinq questions quand celui
des auteurs qui m’avaient précédée en comptait entre trente-cinq et trente-neuf.
Il me paraissait, de toutes façons, impossible voire irrespectueux de
ramasser presque quarante ans de carrière en quelques interrogations.
J’ai
ensuite tenu à contacter Étienne pour l’informer de mon projet et obtenir son
autorisation. Je précise que si mon éditeur ne me le demandait pas, cette
démarche était pour moi non seulement essentielle, mais surtout naturelle. Si
Étienne ne m’avait pas donné son aval, j’aurais purement et simplement renoncé.
J’ai
pu alors entrer dans la phase suivante : « recruter » les fans
via les différents réseaux sociaux : Facebook, Twitter et Instagram. Les
premiers candidats se sont rapidement manifestés jusqu’au moment où Étienne a
partagé mon post sur ses comptes officiels. J’ai alors été littéralement submergée
par les messages et il m’aura fallu plus de deux mois d’échanges avec les uns
et les autres pour recenser les sélectionnés avant de leur envoyer le fameux
questionnaire. Je tenais en effet à ce que tout le monde démarre l’aventure au
même moment. Les volontaires disposaient de quatre à cinq semaines pour
retourner leurs réponses. Consciente des obligations personnelles et
professionnelles des uns et des autres, je leur ai finalement accordé le double
de temps pour écrire posément. Je me suis rendue compte, à ce moment-là, que le
fait que mon questionnaire fût si « étoffé » avait découragé ou fait
fuir certains participants et ce, même si j’avais bien pris soin de préciser à
tous qu’il n’était pas obligatoire de répondre aux cinquante-cinq questions
mais qu’il s’agissait bel et bien de se concentrer sur celles qui les
inspiraient. Je ne recherchais, en effet, pas la quantité mais la qualité et
surtout l’authenticité.
La
lecture et le « décorticage » des fichiers retournés ont été
particulièrement chronophages. J’avais, par ailleurs, beaucoup de mal à évaluer
le temps qu’il allait me falloir pour en venir à bout, tant les contenus
étaient disparates. Les propos que je retenais ne concordaient pas
nécessairement avec le synopsis que j’avais pu élaborer au début de l’aventure.
J’ai donc abandonné l’idée de planifier quoi que ce soit et j’ai avancé sans
vraiment savoir ce que j’allais faire du « truc » final, ni quelle
forme j’allais bien pouvoir lui donner. J’ai traversé des périodes de doutes,
parfois même de découragement. La pression était énorme : j’avais à cœur
de ne pas décevoir Étienne, de valoriser le travail des contributeurs… J’avoue
qu’autant de responsabilités sur mes frêles épaules auront quelque peu perturbé
mes courtes nuits (et tendu mes longues journées de labeur !).
Ce
travail de recueil d’infos et de synthèses terminé, j’ai pu véritablement
entrer en écriture… Enfin… Il me tardait vraiment de donner corps à toute cette
matière, de l’articuler et de lui donner un fil conducteur. Là encore, je
craignais de ne pas retranscrire fidèlement l’intention et le sens qu’Étienne
avait souhaité donner à son travail et à son œuvre. Fort heureusement, lors
d’un échange avec lui, j’ai été totalement rassurée sur ce point – et bien
au-delà puisqu’il me confia avoir, par ailleurs, une totale confiance en moi.
Ma plume s’est alors déliée et Étienne
Daho - Paroles de Fans est né.
Image : John Bars |
Ton parcours
professionnel est jalonné d’expériences diverses en rapport aux lettres et à
l’écriture, sans verser forcément dans l’écriture sur la musique – et en
l’occurrence la musique de quelqu’un.
L’envie d’écrire un livre lié à la musique – de quelqu’un ! – est-elle
récente ou a-t-elle toujours flotté dans ton atmosphère ?
Cette
envie a sans doute toujours été là, nichée tout au fond de mon petit être. Elle
ne demandait probablement qu’à s’exprimer. L’occasion faisant le larron, hop,
me voilà ! Et l’occasion, je la dois à Jérémy Attali (NDLR : à comprendre par la suite). Ce dernier m’a vivement
poussée à franchir le pas, à me confronter et lorsque je me suis enfin décidée,
il s’en est réjoui, très enthousiaste et impatient de me voir à l’œuvre.
L’écriture,
la littérature et la musique ont toujours fait partie intégrante de mon existence.
Elles en sont même les composantes. J’ai énormément lu la presse musicale
française et anglaise, le NME en
particulier, perpétuellement à l’affût de découvertes singulières susceptibles
de repousser les frontières de mon univers musical. Adepte de pop en
particulier (mais pas que, hein !), il n’y avait pour moi aucune équivoque :
Étienne Daho régnait bel et bien en maître sur la discipline. Aussi lorsque
Faustine Sappa, directrice de la collection Paroles
de Fans, me demanda de choisir « mon » artiste, je n’ai vraiment
pas eu à réfléchir avant de lui répondre. Étienne est, par ailleurs, l’artiste
que je suis depuis mon plus jeune âge, celui qui a toujours été là.
Les travaux de
correction et de révision que tu as entrepris sur le livre consacré à Benjamin
Biolay pour la même collection que ton Daho, ont-ils fourni
des indicateurs ou un début de manuel de bord pour ton travail sur ED ?
J’ai
énormément échangé avec Jérémy Attali tout au long de son aventure, ce qui m’a
permis d’en suivre toutes les étapes avec beaucoup d’intérêt et d’admiration.
J’ai adoré les chemins empruntés par Jérémy qui, par ailleurs, écrit divinement
bien. Pour autant, ce partage ne m’aura pas permis d’en retirer une
« méthode » applicable dans la foulée. Chaque épopée Paroles de Fans est différente. Chaque
artiste a son univers. Chaque auteur manie sa plume comme bon lui semble. Ceci
explique cela.
L'auteure et l'icône (18/12/2018) |
Fixer la photographie
mentale des autres à propos de Daho est un généreux geste d’ouverture,
mais… ton Daho à toi, quel est-il ?
Mon
Daho à moi – pour reprendre tes termes – est véritablement un Auteur avec un
grand A. Chaque chapitre de son œuvre a illustré l’un de ceux de mon existence,
ce qui m’a toujours troublée. Pas nécessairement de manière synchrone mais la
concordance a toujours fini par être manifeste.
Sans
jamais m’obliger à me conformer, sans forcément chercher à m’identifier à lui,
ni à me retrouver dans ses traits, mon Daho et moi avons cependant des
sensibilités et des manières communes. L’amour de la musique en particulier et
de l’art en général, évidemment et sans surprendre personne. Une attraction
avérée pour Londres, Un certain degré d’exigence. Cette manie qui consiste à
décortiquer méthodiquement chaque nouvel album avec des écoutes successives (une
pour l’ensemble, une par instrument, une pour les textes). Ce besoin de l’inclure
dans une œuvre, d’en absorber l’intégralité et d’en comprendre les influences.
Mon
Daho à moi est enfin un artiste visionnaire et insolemment doué, humble et
affirmé, raffiné et élégant, libre et affranchi. Il est le premier artiste
auquel je me suis intéressée de manière « instinctive ». Celui que j’ai
« reconnu » et que j’ai intégré à mon existence : naturellement
et comme une évidence.
Comment juges-tu l’évolution
musicale d’ED, notamment ces dernières années ? Que retiens-tu le plus de ce
parcours ?
Étienne
« n’évolue » pas à proprement parler. Il avance. Il vit. Il décide de
s’égarer, a parfois besoin de se recentrer mais assume toujours ses choix et revendique
sa liberté par-dessus tout et ça, c’est la marque des « grands » pour
moi : ceux qui apprennent, qui tirent des leçons de leurs expériences, qui
affrontent leur reflet dans le miroir et qui avancent encore et toujours.
Guidés par « quelque chose » qui les porte et les ramène toujours sur
la rive. Ce que j’aime par-dessus tout chez lui, c’est que l’homme est à deux
pas de l’artiste. Perpétuellement. Et c’est précisément cette proximité qui
insuffle toute la force à cette œuvre sans nulle autre pareille. J’ai parlé de
libération dans mon livre et à juste titre. La vie est ainsi faite. Nous
réglons nos contentieux avec l’existence avec plus ou moins de facilités, plus
ou moins rapidement. Avec les armes à notre disposition. Avec les âmes à notre
écoute. Avec l’art comme exutoire. Au cours de ces dernières années, Étienne
s’est libéré. Il a délibérément choisi de ne plus être le protagoniste exclusif
de l’histoire mais s’est replacé « dans le monde » au sens large du
terme.
As-tu reçu de la part
du management, de son entourage ou d’Étienne lui-même un retour sur les
contenus du livre ?
Étienne
a été présent à toutes les étapes et ce, malgré un emploi du temps plus que
chargé avec le Blitz Tour. Il a pris
le temps de m’apporter les réponses que j’attendais soit directement, soit par
le biais de son manager ou d’autres personnes proches de lui. Il m’a
spontanément offert la photo de couverture, ce qui m’a profondément émue. De
mon côté, je lui avais proposé de lui soumettre mes textes au fur et à mesure
de leur écriture. Il a décliné en répondant qu’il me faisait confiance. Il n’a
donc découvert le contenu du livre qu’à sa sortie et m’a immédiatement informée
de sa satisfaction et de son émotion, une fois sa lecture achevée.
Qu’est-ce qui te
semble rassembler les fans autour de Daho, au-delà de la multitude des
ressentis sur l’homme et son œuvre ? Serait-il possible, ou absolument
pas, de brosser portrait du fan de Daho à grands traits ?
Je
ne suis pas une adepte de la classification ni de la systématisation… cependant,
je dirais que le trait commun à tous les fans est une sensibilité, voire une
hypersensibilité artistique. C’est en tout cas celui qui prédomine.
Quel Etienne Daho
jaillit du livre, dans ton ressenti ?
Tu
me demandes de faire une synthèse de ma synthèse ? C’est une histoire sans
fin ! (NDLR : pardon, pardon !)
Le livre décrit un homme humble et exemplaire porté par sa passion pour la
musique, un artiste talentueux, exigeant au sens positif du terme, généreux et
surtout libre.
Le classement
impossible mais tu t’en débrouilleras : ton top 5 des chansons de Daho,
avec une ligne de ressenti pour chaque. Et éventuellement, ton top 3 albums, même
règle. En avant !
Question
redoutable, en effet (je ne te remercie pas de me l’avoir posée même si je
dois reconnaître que j’ai été plus impitoyable que toi puisque j’avais demandé
aux participants à mon livre de n’en retenir qu’une !) !
Mon Top 5 « chansons » :
« L’année
du dragon » (Corps et armes)
Cette
chanson est très forte et m’émeut particulièrement. La voix d’Étienne lui donne
encore plus de profondeur et de sens. J’adore la version du Live 2001, ses
chœurs et ses percus qui viennent marteler l’ensemble comme des battements de
cœur. Le texte est poignant et relate parfaitement le lâcher prise amoureux.
Celui que l’on est en mesure d’attendre réciproquement quand l’évidence est là,
quand la chance est identifiée, quand les armes sont déposées et que l’âme est,
elle aussi, atteinte. Faire enfin cohabiter le sage et le fou pour ne plus
vivre seul… Tout un programme !
« L’adorer »
(L’invitation)
Cette
chanson est un chef d’œuvre absolu. Merci à Édith Fambuena et Jean-Louis Piérot.
Elle s’adresse aux courageux qui savent aimer trop fort, à ceux qui adorent
adorer et se heurtent à l’inéluctable. La phrase « arborer ce chagrin si haut que je porte, beau comme un
drapeau » est absolument sublime... Vraiment.
« Cet
air étrange » (L’Invitation)
Ce
titre me parle vraiment. C’est une chanson sur « la concordance des temps »
en amour… Ce truc essentiel et tellement rare qu’en son absence, aucune
histoire n’est viable.
« L’étincelle »
(Blitz)
Cette
chanson est typiquement le genre de chansons qui vient te cueillir, qui te
fige, qui te coupe le souffle, te met au bord des larmes sans que tu puisses précisément
expliquer le phénomène. Elle a des faux-airs d’un bon vieux Gainsbourg sans
pouvoir en revendiquer catégoriquement le lien de parenté.
« Saint
Lunaire, dimanche matin » (La Notte,
la Notte)
J’aime
l’innocence de cette chanson, les souvenirs qu’elle trimbale avec elle et
qu’elle réussit à ressusciter à chaque écoute. Elle fait partie du répertoire
de ma « grand-messe dominicale » avec « Sunday Morning »
(The Velvet Underground) et « Every Day Is Like Sunday » (Morrissey).
Mon
Top 3 Albums :
Mythomane
Parce
que c’est cette galette qui m’a amenée à lui. Parce qu’il y a déjà tout dans
cet album et parce que c’est à lui que revient Étienne pour garder la bonne
intention et retrouver l’inspiration. C’est LA pièce maîtresse de l’œuvre.
Corps et armes
J’adore
ce concept album, élégant et sophistiqué. Il a une force incroyable et décrit
avec un réalisme déconcertant toutes les étapes et toutes les fulgurances d’une
histoire d’amour (avec un grand A) : de son éclatante éclosion (« Ouverture »)
à sa fin concédée (« La baie »). La voix d’Étienne est teintée d’une
émotion si particulière que l’on pourrait la débusquer même avec des boules
Quies. Elle a une sonorité inédite, une gravité qui donne la chair de poule et
qui t’incite à écouter attentivement. J’ai adoré cet album dès sa sortie en
ignorant que, des années plus tard, j’allais être concernée par chacun de ses
mots…
L’Invitation
Comme
Étienne le disait en clôture de Réévolution,
« souffrir n’aura pas été
vain »… Et il nous en apporte la preuve avec cet album d’une grande
maturité où il fait face à ses vieux « dossiers » avec clairvoyance
et philosophie. C’est l’album des constats, des bilans que l’on doit faire pour
avancer. Chacune des collaborations est fructueuse et judicieuse : Brigitte
Fontaine, Jérôme Soligny, Xavier Tox Géronimi, Édith Fambuena… C’est d’ailleurs
l’un des (nombreux) talents d’Étienne : conserver une belle unicité avec
autant de tonalités. Je peux écouter cet album en boucle pendant des jours
voire des semaines. C’est, en outre, celui qui m’a accompagnée tout au long de
l’écriture du livre.
Clips :
L’étincelle
Le
premier jour
Retour
à toi
Retour
à toi
Double
zéro et l’infini
Mon
manège à moi
Le
brasier
Au
commencement
Epaule
tattoo
Jungle
pulse
Comme
un igloo
Des
attractions désastre
Tombé
pour la France
Des
heures hindoues
Soudain
Les
chansons de l’innocence
> NATHALIE PILLET
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