Daniel Bevilacqua, projectionniste du son (13/10/1946 ǂ 16/04/2020)

Les lauriers, semble-t-il, le stressaient. Ce matin, à l'annonce de la mort de Christophe, ils ont fleuri de toute part. Demain viendra l'heure des couronnes ; et espérons-le, d'une miette d'honneur dans la mémoire collective.


Christophe, un paradoxe : une réputation forgée par quelques succès en forme de bluettes, ce terme qu'entendent les détracteurs. Les "tubes", ces arbres qui cachent le trésor : une œuvre de technologie et d'acidités romantiques. Longtemps, leurs branches m'ont barré la vue - et à subir, ce matin encore, la rengaine des succès à la une des journaux radio, le même malaise s'est installé qu'à l'époque à laquelle je rejetais ce son. Adolescence.

L'ignorance peut heureusement s'épuiser comme les points d'un permis - et Bevilacqua devient essentiel lorsque l'on réalise qu'il n'est pas classable. Sauf peut-être, à l'esprit de ceux dont un verbe réducteur se satisfait du cliché de la variétoche. Cliché minable. Le spleen, le bourdon, un malaise parfois : voilà ce que refile l'écoute des volumes que je connais - et je ne les connais pas tous, mais tu ne perds rien pour attendre mon gaillard.

C'est un fait : cette matière m'est rentrée dans le lard. Affûtée, émaciée comme son visage, la musique de Bevilacqua exerce une pression psychique, esthétique. Sauriez-vous n'être que spectateur ? Cette plasticité clive, ce qui fait son charisme. Ce son : un berceau d'étrangeté, maquis de la perdition jamais correctement décrit. Pouquoi s'y essayer, alors que rien ne vaut l'expérience ? Ah ces mots, à jamais impuissants à capturer l'essence d'un son !
Pour autant, une personnalité s'appréhende, se discute. J'ai souri, récemment encore, en apprenant que Bevilacqua s'était rendu à certaines dates parisiennes de Christian Death. Tout ce que j'imaginais / espérais de lui. Un dandy est destroy, et des boucles parfois se bouclent en des points que nous n'aurions pas prédits. À ma première écoute du concerto de verre Comm'si La Terre Penchait (2001) ou plus récemment des Vestiges Du Chaos (2016), j'ai ressenti sous les acides gouttelettes de technologie une anxiété mêlée d'excitation. La même que celle que j'éprouvai, juste après l'adolescence, à la découverte des squelettes givrés et organiques d'un Catastrophe Ballet.

Son prénom d'artiste était chimère, et Bevilacqua tout sauf le chanteur des seuls "tubes". Un correctif s'imposait peut-être : "Je ne suis pas chanteur, juste un peintre sonore", lançait-il à qui voulait l'entendre le 2 mai 2019 sur le plateau de C à Vous. C'était sans doute à bon escient. Alors de ci, de là, merci à tous ceux qui, d'Alan Vega à Bashung, ont tricoté mon déniaisement et m'ont fait franchir le mur des superficialités. Au regard du frisson que j'éprouve à chaque "Panorama de Berlin" (au hasard, car il y a tant de chansons), Daniel, son surréalisme, ses pastels froids, auraient manqué à ma vie. Tout comme ces Reggiani ou Manset, dont le rien que j'entrevois me laisse face à tout ce dont je manque encore.

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SUR LA PLATINE - POUR AVRIL / MAI 2020 :
Aimer Ce Que Nous Sommes (AZ, 2008)
Les Vestiges Du Chaos (Capitol, 2016)

Photographie #Christophe - source : Christophe official FB (DR)

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