Art & Metal ǂ Chapitre II : JP Ahonen - 'Belzebubs'


Dans Belzebubs, JP Ahonen (Kenneth Shuri) fait tout : il a créé les personnages (au hasard : Hubbath, l’enfant Léviathan, Lucyfer…), écrit les histoires, les encre numériquement et les publie en format digital. C’était vrai jusqu’à ce que le phénomène prenne tant d’ampleur que le monde merveilleux de l’édition physique lui propose de publier un premier volume papier. Concrétisation pour le territoire francophone via les éditions Glénat, responsables d’un beau petit volume carré noir et blanc de presque 130 pages, disponible depuis début octobre 2018 et compilant une somme des travaux comiques d’Ahonen.
Belzebubs, où une famille black metal affronte l’existence à sa manière, est plein de second degré – mais aussi et surtout, de culture et de ressenti sur les choses. L’occasion d’interroger le dessinateur finlandais sur les liens entre cette musique metal et cet imaginaire qui l’imprègnent tant, et sa propre production graphique.
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Entretien avec JP Ahonen finalisé le 12 octobre 2018

Couverture du volume paru chez Glénat début octobre 2018

Les strips Belzebubs présentent à la fois un référentiel précis et fourni, et un vrai résultat comique. Le lecteur garde de votre travail l’impression que vous êtes imprégné d’un fond, une culture. À quel point êtes-vous personnellement voire émotionnellement investi dans les scènes metal ? Comment êtes-vous venu à cet univers?
JP Ahonen : Je suis à fond dans le metal depuis mon adolescence. J'écoute beaucoup de choses différentes bien sûr, mais dans mon cœur et mon esprit, je suis un metalhead. D'une certaine manière, je pense que la musique, et en particulier la musique metal, a influencé mon travail, mon art et ma façon de penser en général. Travailler sur Belzebubs, c’est comme pouvoir enfin combiner les nombreuses compétences et idées que j’ai accumulées au cours de mes presque quarante années d’existence.

Quel est le mode opératoire, comment construisez-vous ces petites histoires ? Est-ce un processus purement instinctif ?
Belzebubs peut avoir de l’extérieur l’air de quelque chose de facile et rapide, et ça relève en même temps d’un objectif ; mais en réalité, les strips prennent beaucoup de temps. En plus de l'histoire, j'essaie de faire un bon usage du langage du corps, du jeu de mots et d’aller dans certains petits détails. Chaque part du travail prend son temps, bien sûr. Et aujourd’hui, alors que beaucoup de matériaux se sont accumulés et liés les uns aux autres à travers Belzebubs, le processus prend encore plus de temps.
Dans le meilleur des cas, les idées viennent en flashes et sont faciles à exécuter, mais la majorité des strips sont le fruit de sang, sueur et larmes en mélange, et d’offrandes occasionnelles.

JP Ahonen, c'est lui (portrait fourni par le dessinateur)

 Belzebubs met en perspective un certain folklore à travers son exposition des attitudes, références et aspects visuels démonstratifs et propres à la scène. Cette surface des choses s’entrelace éventuellement à une mythologie et met en scène le rapport social et familial pour aboutir à des situations comiques. Si vous deviez synthétiser en quelques mots le cadre de références pour Belzebubs, que diriez-vous ?
Je pense Belzebubs comme un mélange de beaucoup de choses que j’ai faites dans le passé. Rétrospectivement, il est facile de voir comment les points se sont connectés. Je me suis toujours intéressé à la comédie de genre et aux bandes dessinées relationnelles de style sitcom. Je viens d’ajouter des références à Lovecraft et un soupçon de Dante, je suppose.
Je ne sais pas, j’ai toujours aimé les œuvres qui offrent un contraste, c’est ce que j’ai essayé d’obtenir avec Belzebubs.


Ces petites histoires / aventures familiales se nourrissent d’un humour de deuxième voire troisième degré. Cette optique séduira assurément une partie du public metal apte à rire des aspects excessifs et esthétiques propres à sa culture. Au regard de ce que vous faites avec Belzebubs, je vous suppose évidemment relever de cette catégorie. Quel est votre objectif personnel à travers cette série ?
Je ne pense pas vraiment à ce qui caractérise le public, je veux juste être honnête avec moi-même, les personnages et l’histoire. Cela ne veut pas dire que je n’aime pas mes lecteurs ! Au contraire, je pense que Belzebubs a les meilleurs fans, les lecteurs me poussent chaque jour. Ce que je veux dire, c’est que la combinaison à laquelle je suis parvenu me vient tout naturellement. Et je suis simplement heureux que cela résonne de la sorte.
Alors oui, Belzebubs est très certainement fabriqué à partir d’un terreau culturel. Je sens que je peux tordre les choses et plaisanter parce qu'une grande partie de cette moquerie me vise moi aussi, vous voyez ? Ceci dit, j’espère que les Belzebubs pourront être appréciés aussi par des personnes qui ne donneraient pas dans le metal ou dans un référentiel occulte.


On peut rire des côtés extrêmes du métal, mais il existe une position radicale dans certaines scènes et le black metal notamment, qui considère la musique comme un art total, une chose sérieuse, le résultat d’un investissement et un effort spirituel authentique. Cette option considère que l’essence et la singularité du metal résident dans son potentiel de subversion, ce qui lui rend difficilement supportable une approche en laquelle elle pourra percevoir vulgarisation. En tant qu'auditeur, connaisseur et observateur des scènes concernées, comment comprenez-vous ce discours et dans quelle mesure impacte-t-il, ou non, votre production ?
En effet, mes œuvres font sûrement suer beaucoup de monde, mais cet agacement se produit de tous les côtés, vraiment. Je suppose que Belzebubs insulte autant les passionnés sincères de black metal que les pieux chrétiens de Jésus. Cela dit, je n’y pense pas vraiment. J’essaie simplement de me concentrer et de faire mon truc le mieux possible.


Comment finalisez-vous un strip ? Y’a-t-il une combinaison d’approche classique et de traitement sur Adobe Photoshop ?
Belzebubs est essentiellement numérique, en fait. Je dessine et encre dans Photoshop avec une Cintiq Wacom (NDLR : une tablette graphique). Le lettrage est effectué principalement avec ma propre police.

Si vous deviez présenter trois albums black metal que vous considérez personnellement comme des œuvres d'art, quelles seraient les références les plus immédiates et pourquoi ?
Ouh, tâche impossible ! Honnêtement, je ne peux pas choisir.
Je vais donc piocher quelques albums que j'ai récemment écoutés au studio : Kingdoms Bathed In Golden Light de A Diadem Of Dead Stars, angL d’Ihsahn, The Satanist de Behemoth, Devour The Sun de Vvilderness, Hammer Of The Witches de Cradle of Filth… et il y en a tant d’autres, tant d’autres encore !

L'auteur, par lui-même et sans capuche


> JP AHONEN / BELZEBUBS ONLINE

Remerciements à JP Ahonen pour la simplicité, l'humour, les images de Belzebubs et la permission de les publier ici même.




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