Debemur Morti, une indépendance metal FR ǂ Échange avec le fondateur du label

Debemur Morti Productions a parcouru du chemin depuis 2003, année de sa fondation. 
Phil, fondateur du label, est au sens le plus noble du terme un activiste. Aimant les choses bien finies et ayant quelque idée à ce propos, il s'est donné indépendance à travers une structure "prônant le Black Metal comme démarche Artistique sérieuse". Le grand A à "Artistique", les B et M majuscules appliqués au genre sont de lui. 
Mais ce black metal n'était qu'un point de départ, porte d'entrée ouvrant sur quelque chose de plus vaste : la maison DMP, depuis 2003, a accueilli un nombre croissant de projets se caractérisant avant tout par la radicalité de leurs choix, bien au-delà du seul genre reférencé initialement.
Le bilan provisoire est éloquent : DMP est parvenu en une quinzaine d'années à un catalogue de références duquel ressort un niveau d'exigence inhabituel. Un rigorisme qui fait de lui une référence underground principale des scènes extrêmes. Les noms disent tout d'une direction artistique : Blut Aus Nord, Manes, Lethe, Dirge, In The Woods..., Monolithe, Au Champ Des Morts, Terra Tenebrosa, Spektr, Ævangelist. Vous en voulez encore ? Rencontre avec la tête pensante, aux fins de cerner un état d'esprit et une démarche : c'est une vision absolutiste du metal en tant qu'Art, doublée d'une volonté de protection esthétique. 
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Entretien avec Phil réalisé le 1er septembre 2018
Sources images : DMP FB



Un label comme Debemur Morti ne peut être créé que par des gens éprouvant éventuellement un manque, et voulant permettre à certaines musiques d’exister. Quelles sont les caractéristiques de fond de celles dont DMP aspire à soutenir l'existence ? Qu’est-ce qui fait que la maison signera un artiste ou un groupe ?
Phil : Comme je le dis depuis toujours, il est primordial que l’Art des groupes affiliés à DMP soit authentique, profond et pur – en résumé, de l’Art vrai (vrai, dans le sens "non artificiel") – mais qu’il soit aussi porteur d’une dimension spirituelle. Le but : proposer une œuvre qui puisse transcender l’auditeur. Je veux faire exister des œuvres viscérales, qui ont demandé de la sueur, du sang et/ou des larmes à leurs créateurs. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai beaucoup de mal avec quantité de groupes estampillés 'Black Metal' et dont la musique et l’imagerie sont surfaites/surjouées, et manquent cruellement de sincérité.

Le label va-t-il aujourd’hui vers les groupes, les recherche-t-il ou laisse-t-il plutôt les gens venir à lui ?
Je suis ouvert et les groupes qui souhaitent travailler avec nous sont les bienvenus. Malheureusement, 99% des demandes que l’on reçoit sont rejetées, en partie pour les raisons mentionnées ci-dessus.
Il m’arrive aussi de solliciter des groupes, bien sûr. C’est d’ailleurs plus souvent dans ce sens qu’une collaboration se concrétise.

Qu’est-ce que les artistes vous disent rechercher, à titre principal, à travers l’intervention du label ?
Ceux qui frappent à la porte de DMP sont souvent des artistes qui sont sensibles à la qualité de notre travail et à l’esthétisme que nous avons mis en place au cours des quinze dernières années.
Je me souviens encore de mes premiers échanges avec Vindsval, de Blut Aus Nord. Il m’avait dit qu’il préférait mille fois travailler avec une structure plus petite comme la nôtre qu’avec un gros label [ayant auparavant œuvré sur pour lui] qui ne connaissait rien à sa musique, n’écoutait probablement même pas ses albums et n’était motivé que par le profit. Je me considère un peu comme un artisan qui a le plaisir du travail bien fait. Voici ce que les groupes viennent chercher chez DMP, je pense : un travail de passionné.



La multi-spécialisation du label a les avantages de ses inconvénients, si l’on réfléchit à son modèle économique. Toute entreprise, de la plus petite à la plus grande, cherche et espère asseoir son propre modèle. Penses-tu, avec l’expérience, avoir trouvé celui  de DMP ou ce travail te semble-t-il s’accomplir au fil de l’eau, dans une adaptation permanente et au long cours ?
Phil : Disons que l’on a un modèle qui nous permet de survivre – j’insiste sur le terme – et c’est un modèle sur lequel on ne souhaite pas se reposer. Le monde est en constante mutation et celui de la musique n’y échappe pas. Autour de moi, très peu de gens possèdent encore des CDs ou des vinyles. Peu de gens achètent de la musique, tout court. Ceux qui la paient encore, le font sous forme d’abonnement à consommation illimité chez Spotify et autres services de ce genre.
De mon côté je suis toujours très attaché au physique, et nous avons la chance d’avoir des gens qui continuent de soutenir nos groupes et notre label en achetant du support. Mais je ne sais pas combien de temps cela va durer.
Tout ça pour dire que celui qui se repose sur un modèle a vite fait de sombrer dans le néant. Et puis, asseoir un modèle, pour moi, c’est un peu stagner tu vois ? Se reposer sur ses acquis, ne plus se poser de questions parce qu’on a un truc qui fonctionne. J’ai horreur de la stagnation… J’ai besoin d’apprendre, toujours. Mon objectif, dans tous les domaines, c’est d’évoluer, m’améliorer. Du coup c’est pareil avec DMP, je m’interroge constamment et si un jour je vois une manière de faire mieux, alors je foncerai.

Il y a aujourd’hui une esthétique DMP comme il a pu y avoir, dans d’autres sphères musicales, une esthétique Cold Meat Industry ou 4AD : un esthétisme poussé accompagne les sorties du label, un feeling occulte, des pochettes jusqu’à l’environnement visuel créé autour des sorties pour leur promotion. Comment s’est construite cette identité visuelle et à quoi DMP aspire-t-il à travers l'image ? 
L’identité visuelle d’une œuvre est, pour moi, aussi importante que son contenu musical. De manière générale, avant même d’écouter un album, tu admires, a minima, sa pochette. Si la magie opère, il y a déjà une part de toi qui est dedans, qui "rêve" ou qui "voyage". L’esthétisme a toujours été mis en avant chez DMP car je suis très sensible à l’idée d’œuvre d’art totale. J’essaie donc, au mieux et avec l’aide de gens talentueux comme Dehn Sora (NDLA : responsable par ailleurs des projets musicaux Throane et Treha Sektori) de proposer quelque chose qui ait du sens et qui soit de belle qualité.

Ævangelist - pochette de l'album Omen Ex Simulacra (2013)

Blut Aus Nord - pochette de l'album 777 - Cosmosphy (2012)

À l’échelle de la structure DMP,  l’avenir de la musique te semble-t-elle passer par le digital plus que par le physique, ou restez-vous indécis sur ce point et pourquoi ?
Je vais être tout à fait transparent : je n’en sais rien. Quand je vois que des sociétés comme Spotify perdent des millions d’euros chaque année et que je vois les miettes de pain que l’on touche sur les streaming, je ne vois pas bien comment cela peut fonctionner.
Si demain la consommation passe au 100% digital, c’est terminé pour nous, DMP ne pourra plus survivre.

Les acheteurs passent-ils par les canaux classiques de distribution pour vous acheter des albums ou le webmerch de DMP est-il devenu leur porte d’entrée privilégiée ?
Pour le CD l'acte d'achat se produit majoritairement via les canaux classiques de distribution. En revanche, pour le vinyle, c’est principalement via notre webshop et/ou via des petits mailorders qui achètent en direct chez nous pour revendre dans leurs propres pays.
On mise pas mal sur notre site mais malheureusement, les frais de livraison sont un frein énorme et vu la taille de notre structure, il est difficile pour nous de négocier des tarifs avantageux.

La forme traduit une conviction et une forme d’absolu émane de ce que vous faites. Alors... Debemur Morti, une bande de control freaks ?
Je plaide coupable, à 100%.
D’une part, parce que j’aime ce que je fais et que du coup, j’ai envie de tout faire moi-même ; mais aussi parce qu’il faut faire avec les moyens du bord… alors on s’improvise parfois dans des rôles que l’on n’avait pas l’intention d’interpréter. Mais promis, j’essaie de me soigner !


Affiche de tournée Dirge / Throane / Ovtrenoir - septembre à novembre 2018

À une époque d’uniformisation rampante des goûts et de fragilisation du marché de la musique physique,  Debemur Morti et accuse nombre d’années au compteur et sort encore et toujours des objets. Ce faisant, le label a imposé dans le paysage metal un catalogue au référentiel protéiforme, perçu comme extrême et / ou avant-gardiste. Par quel miracle expliques-tu la longévité de cette aventure en pareil contexte ?
Merci, cela fait plaisir à entendre. Je crois que l’on en revient toujours à ça : la passion. Je n’ai jamais compté mes heures et j’ai toujours privilégié la santé du label au profit immédiat. Je fais en sorte de m’entourer de talents qui me permettent de m’élever. Pour moi cela se résume à un fervent dévouement, une volonté d’acier et une flamme qui ne cesse de brûler.

Comment s’est décidée l’émergence du side-label Sundust Records ? Quel a été concrètement le rôle de Vindsval, de Blut Aus Nord, dans cette décision et/ou cette aventure ?
Depuis que Vindsval a rejoint DMP, nous échangeons énormément et nos goûts musicaux sont très éclectiques.
Quand nous découvrions des groupes pour lesquels nous avions un gros coup de cœur et que nous aurions aimé approcher pour travailler avec eux, il y avait, et il y a toujours d’ailleurs, cette étiquette accolée à DMP : 'Black Metal', qui nous bloquait un peu. C’est de là qu’est venue l’idée de créer Sundust, un label dont nous serions co-décisionnaires à cinquante cinquante sur les signatures des groupes, et avec lequel nous pourrions donner champ libre à nos coups de cœurs sans avoir cette étiquette 'Metal'. D’ailleurs on ne sortira jamais rien de Metal sur ce label.

De quoi as-tu aujourd’hui envie pour Debemur Morti ? Qu’est-ce que le label n’a pas encore fait que tu aimerais le voir faire ?
Mon rêve est de monter un festival Debemur Morti ! D’abord avec des groupes passés/présents avec lesquels j’ai travaillé mais pourquoi pas, avec d’autres groupes coup de cœur ! J’avais organisé des tournées il y a quelques années mais un festival, c’est une autre paire de manches, et je n’y connais pas grand-chose. Affaire à suivre. Je n’ai pas dit mon dernier mot.
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