L'Insoumis

JLM2017, toute une histoire. 
Contée en son temps par les récits de campagne : ceux des médias, ceux des sources directement fabriquées par La France Insoumise. 
En contexte de pleine recomposition politique, c'est une histoire humaine réinvestie aujourd'hui par le réalisateur Gilles Perret (Ma Mondialisation [2006], La Sociale [2016]...) : un dialogue capté en temps réel avec le protagoniste principal, autant qu'une observation de sa manière d'être, et qui font le menu du film L'Insoumis sorti fin février 2018. Pas un retour sur les choses à partir d'aujourd'hui, mais le ressenti et la vie durant la campagne. 
Des images sans commentaires, une part de réel.


Gilles Perret connaît et aime son sujet. Il dit, en entrée du film, sa proximité avec Jean-Luc Mélenchon. Sincérité n'est pas objectivité, et il y a transparence du procédé. Puis Perret filme, sans artifices. Il filme un homme en campagne. Un homme, avant tout.

Interaction homme / staff : en filigrane
Le travail des militants à proprement parler n'est pas le sujet du film : son entourage de pensée, certes présent sur la pellicule, entoure et donne éventuellement le change à une personnalité qui, elle, reste centrale.
Peu d'images exposent, qui plus est, l'équipe de campagne en situation de pensée ou de réaction hors la présence de M. Mélenchon - mais il y a cette scène où, par exemple, Sophia Chikirou (ex-PS, plus tard Gauche Moderne, conseillère en communication de JLM et cofondatrice du Média) se plaint auprès d'Alexis Corbière (ex-PS, PG, et porte-parole du candidat pendant la campagne présidentielle) de la manière dont TF1 aborde l'introduction du débat télévisuel du premier tour : ça se passe à coups de reportages "spectacle", de l'intérieur même des studios et dès l'arrivée des candidats (extraits croustillants d'esbroufe médiatique ! Si vous aviez à ce moment-là du temps de cerveau disponible, le fait que les candidats se croisent dans les couloirs devenait un enjeu extraordinaire).
Bref. TF1 la joue à l'Américaine, Madame Chikirou goûte peu le nivellement par le bas, et c'est l'occasion pour Perret de fixer par cet échange, au-delà de la seule personne de JLM, la méfiance médiatique de La France Insoumise. Une posture connue, pouvant être perçue comme artificielle vue de l'extérieur, mais pour l'occasion étayée : un enjeu politique fort ne devrait pas être traité à la manière d'un match de catch. La dévalorisation du politique passe par sa spectacularisation ; mais malheureusement, à ce jeu-là, tout le monde a pris sa part.

Montrer un homme
Jean-Luc Mélenchon n'est pas passé loin de l'exploit au premier tour de l'élection présidentielle 2017. Il en a sans doute relevé un défi personnel en applatissant électoralement le candidat du PS, M. Hamon - peu servi, il faut le dire, par les siens à l'issue des Primaires.
Mais relever ce défi n'est pas remporter le combat. Dans le dernier quart du film de Perret, où l'on sent le candidat de LFI commencer à croire à davantage qu'un bon score au premier tour, JLM a largement dépassé la petite gloriole des victoires partisanes : un homme se prend à rêver du pouvoir, et d'autres lendemains possibles. Une lumière le frôle.
Peu d'effets dans le film, voire pas. Le montage est sobre, pas de musique. Le contenu est assez peu politique, à vrai dire. Perret suit Mélenchon au fil de la campagne. Certes, il le fait parler (les luttes sociales, le PS, le Chili...) mais sans débat. C'est l'esprit d'un homme. Libre cours.
Pour l'essentiel, il s'agit de situations. Le cinéaste met à l'écran Mélenchon en meeting ou lors d'échanges préparatoires divers avec ses partisans. C'est un homme, à déchiffrer. Au fond, le sujet est moins le logiciel politique et la stratégie électorale de M. Mélenchon que sa manière d'être. Un portrait que certains jugent de tendance hagiographique dans le constat que certains traits saillants ne jaillissent que moyennement des images, alors qu'ils font le sel de la personnalité de JLM : à titre essentiel, une forme d'agressivité, de violence, aussi évidente dans l'apparition médiatique que plus ou moins contenue dans le film. Mélenchon ne les renie pas fondamentalement lui-même... mais relativise : il n'appuierait pas comme ça sur le bouton nucléaire !  Une doctrine révolutionnaire sait garder sa civilité, et tout le monde trouve une parade au reproche de l'agressivité : Perret en la montrant assez peu (à notre goût), Mélenchon en ruinant par avance et par un propos de dérision la portée critique de son constat.

Mais l'agressivité, source potentielle de succès, présente aussi un risque en politique : elle a un coût électoral. Combien d'analystes ressassent que M. Mélenchon serait son pire ennemi ? Ils ne sont pas les seuls. Son entourage le lui dit aussi, et le leader l'acceptera plus facilement que lorsque le message sort de la bouche d'une intervenante de C à Vous. Venant de son staff, nul complot n'est ourdi. Le staff fera donc le travail - et à mots couverts, lui glissera qu'il doit rassurer. C'est ce "gommage" des aspérités caractérielles qui, dans la phase finale du premier tour, renforcera la confiance des masses électrices. JLM n'est pas sourd, il entend.
Cette dimension tactique et la réception du message ne sont pas niées par le montage de Perret, ce dont il faut lui faire crédit. Il y a une intelligence à l'oeuvre chez M. Mélenchon. Elle le fait travailler sur lui, sur son animalité politique. Agir en conscience de soi-même, à défaut de se gouverner toujours. Mais... un Mélenchon qui constamment se gouvernerait serait-il encore Mélenchon ?


Nerfs du sensible
A défaut de pleine objectivité, le film ne maquille pas JLM. Certains traits de caractère ressortent, sans doute plus à l'avantage qu'au détriment du candidat. Perret aime son sujet. Le regard n'est ni irrévérencieux, ni inquisiteur, et l'ego carapacé du leader n'en prendra pas un grand coup.
Pour autant, le réalisateur ne tombe dans l'écueil ni de la flatterie ouverte, ni du cliché. Principe de réalité : Mélenchon sait parler à une foule et l'emporter, et ses qualités de tribun - quelque doute qui puisse l'assaillir à ce sujet - ont été dites mille fois. Le film, alors, n'insistera pas spécialement : il le montre certes en situation de harangue mais ces moments-là, spectaculaires, n'apprennent rien et restent économes. Choix de mesure, de justesse.
Le réalisateur n'insiste pas non plus sur la fameuse gouaille de M. Mélenchon. La pellicule la fait moins transparaître que la simple force, naturelle, d'un discours : qu'il passe par une mise à disposition des idées par l'exemple qui ébouriffe (la propagande est une pédagogie) ou qu'il recoure à un phrasé plus émotionnel pour éveiller dans la foule un rêve de lendemains meilleurs, M. Mélenchon a pour lui cette force assez rare de la capacité à dire : la parole se déverse au point qu'on le sente traversé par quelque chose. JLM l'est sûrement, et nul besoin d'être partisan pour le lui reconnaître.
Cette capacité à dire n'est évidemment pas un élément de surprise du film, encore moins que ne l'est le panégyrique des aspirations du "peuple" - aspirations dont il se veut récipiendaire au principal, et qu'il entend incarner. Ah, le peuple - ça revient souvent : un leitmotiv qui pourra effrayer, ne déplaise à l'auteur des discours. Mais le peuple est une masse informe, l'antisystème un attrape-tout, et voilà posture récipiendaire que d'autres lui disputeront forcément, depuis bien ailleurs, sur l'échiquier politique.
Pas plus d'élément de surprise non plus, dans l'exergue d'une méfiance (défiance) médiatique, étayée par quelques exemples exposés directement dans le film, et que le protagoniste principal juge parlants. Le rejoindra qui veut. Le service public, au passage, en prend pour son grade, après une émission où M. Mélenchon fait face à des images d'archives issues de son temps au PS et qu'il goûte assez peu. Il juge le procédé salaud. C'est là un autre trait de sa personnalité : JLM étaye un discours politique pensé et structuré, c'est un homme cortiqué, mais le naturel prend galop et un temps d'avance sur sa rationnalité politique. Préjudiciable, au long cours. Une tendance épidermique, dans la parole et l'attitude de M. Mélenchon, surgit fréquemment en réponse à l'interpellation ou l'objection journalistique, dans laquelle se nicherait systématiquement hostilité : l'hostilité d'une partie de ceux que certains nomment les faiseurs d'opinion. Mais quoi que l'on puisse supposer de ce qui la motive, l'interpellation journalistique ne peut être contrée valablement par un discours qui présupposerait son hostilité - car à ce compte-là, moindre hauteur prise, nulle ascendance dans le discours. Or, il est attendu une hauteur du politique. Quelles que soient la qualité et l'intention de l'objection journalistique, forcément aléatoires et nous en conviendrons largement, le verbe de M. Mélenchon s'installe à répétition dans l'adversité, quand ce n'est posture victimaire. C'est une manière d'exister, assez commune en politique, mais ce qu'elle révèle d'un agacement sincère se mue en fragilité. Et c'est à double tranchant : la performance fédèrera autour d'elle ce public qui n'aime pas les faiseurs d'opinion. Elle agacera ceux qui, avant tout, y voient exercice de théâtre ou, au pire, difficulté argumentaire.

Filmer le réel
L'Insoumis cible un homme, en situation.
Le documentaire est filmé principalement au pas de course et ne constitue pas une analyse politique, au sens où il ne décortique pas un discours ou une tenue de campagne. Il ne décortique pas les procédés. Le coup de l'hologramme, assez génial, prend trois secondes à l'écran. C'est un choix. Le réalisateur semble davantage vouloir exposer une foi en les idées, cette voix intérieure qui met l'homme en mouvement.
C'est un film du tempérament et du comportement : il braque le projecteur sur les apartés de M. Mélenchon avec ses partisans, quelques opposants, ou encore sur une manière d'être au contact d'un public, d'un chef d'entreprise. Ces moments-là sont les plus intéressants. Ils sont la chair du film.


L'intérêt de Perret pour son sujet donne à L'Insoumis une colonne vertébrale sensitive. Neutralité n'est finalement que dans l'absence de commentaires, rognée forcément sur les bords par la sincérité du regard pour ne pas dire l'amour : c'est le jeu en soi, et pas un véritable problème... sauf à oublier ce qui ne pourrait l'être.

Le temps de la campagne et l'issue du premier tour constituent les points cardinaux du film, ce qui fera regretter à certains - et principalement, les personnes qui n'adhèrent ou ne comprennent pas le logiciel de M. Mélenchon - l'absence totale de référence au fameux "discours de l'après premier tour", qui fit largement débat et dont la présence au film lui aurait évité toute présomption hagiographique.
Cette absence du discours de l'après-premier tour pose la question de l'ambition du film, de son but. Elle contiendra pour certains un paradoxe : si la personnalité et le discours de Mélenchon provoquent le débat, par leur nature même, ne doivent-ils être restaurés à l'écran que dans leur efficacité politique ?
Au réalisateur de dire. De notre point de vue, si la règle de l'absence de commentaire appliquée uniformément au film avait dû couvrir ce moment de la campagne, le réalisateur aurait désagrégé l'esprit de sa narration et abîmé le fond d'un récit gouverné par l'espoir collectif : il se serait sans doute substitué à la force dramatique de la fin du film, un moment de difficulté politique dans sa dimension brute. Un brouillage de l'image. En faisant le choix d'évacuer ce moment, Perret préserve la puissance nostalgique de la fin de l'exposé, ainsi que le souvenir d'une "belle campagne".

L'amour du sujet a peut-être amené à ce choix mais quelle que soit la réponse que puisse apporter M. Perret, de notre point de vue, un portrait d'humanité ne saurait extraire cette dernière de ses moments d'expression controversés, surtout concernant une personnalité si angulaire : ces moments disent aussi quelque chose d'elle, d'un corps d'idées et d'une stratégie politique (ou un moment d'errance stratégique).
La réception de ce choix du réalisateur sera forcément diverse : ceux qui s'opposent à M. Mélenchon diront que L'Insoumis, en dépit de son absence de commentaire, souffre d'une malfaçon coupable dans le portrait, qu'il n'embrasse pas autant que son absence de commentaire pourrait le faire croire, et qu'il agit en trompe-l'oeil ; quand un public sensible à la parole mélenchonniste et à ce que JLM incarne en politique, se trouveront a priori confortés dans leur mythologie révolutionnaire par le déroulé de Perret. Aimer, c'est peut-être aussi oublier un peu.


Un combat
Nul besoin d'être adepte de JLM pour aller voir L'Insoumis : c'est un film pour ceux qui, au-delà de leurs sensibilités personnelles, veulent mieux comprendre ce qui fait se mouvoir un homme en politique, et de quelle manière il vit et ressent le combat.
Sur ce plan, le film est réussi.
L'exercice de style a aussi son étrangeté : sa neutralité peut éventuellement être discutée par les commentateurs, quoique le réalisateur ne prétende pas à neutralité complète mais simplement à un exercice de style libre - ce qui n'est pas équivalent. Mais peu importe. Le film a au moins une singularité en ce qu'il soulève une dimension paternaliste de M. Mélenchon, dont peu de faiseurs d'opinion se font l'écho, ou qu'ils constatent en accompagnant le mot d'un commentaire suspicieux. Cette dimension de "père du peuple" est pourtant ce qui contrecarre les effets glaçants d'une radicalité de discours ; et ce qui, si elle découlait d'une nature profonde ou était apparue plus tôt, aurait peut-être donné à M. Mélenchon de dépasser le stade du premier tour. On ne refera pas le match. Les Français peuvent avoir une âme révolutionnaire, mais ils n'aiment rien tant que de se sentir protégés.
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Il y a ce qu'il reste humainement du film.
Absence de commentaire n'exclut pas cordialité. L'angle relativement bienveillant du travail n'est pas fondamentalement réducteur de la personne de M. Mélenchon, encore moins caricatural. JLM n'est pas que le pater, ou celui qui passe le flambeau, à la fin, à une génération nouvelle. Et sans que disparaisse notre gêne face à un ou deux gommages, L'Insoumis peut, selon nous, conforter chacun dans ce qu'il a pu ressentir d'une personnalité : M. Mélenchon est un être clivant, contrasté, complexe mais fait d'un bloc. Tandis que Perret l'expose dans des moments de vie choisis, et clefs, le leader de La France Insoumise apparaît comme un homme habité par ce qu'il fait, au quotidien de la campagne comme lors de ses sorties publiques et médiatiques.
Le reste est affaire de montage, et nous pourrions en discuter des heures.
Le reste, surtout, est dans votre regard.  ǂ


GILLES PERRET - L'Insoumis
Distribution : Jour2fête
2017
En salles le 21/02/2018

> L'INSOUMIS ONLINE
- Site officiel

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