Athènes, proie des flammes (juillet 2018) ǂ Le témoignage d’une citoyenne, Androniki Skoula (Chaostar)
L’été
2018 atteint à peine son premier mois écoulé que la canicule menace, et les incendies
font rage en Europe et à ses abords. Les incendies en Suède préfigurent ce qui attend l’Europe et le cas de la Grèce, victime à de
nombreuses reprises du feu depuis des
décennies (qui ne se souvient pas
de 2007 ?) est devenu fort préoccupant
depuis le lundi 23 juillet 2018.
Parmi
mes connaissances figure la cantatrice Androniki
Skoula, membre de Chaostar (projet expérimental créé par Christos Antoniou
[Septicflesh]). Androniki vit elle-même dans la région d’Athènes. C’est à ma demande qu’elle a accepté de s’exprimer,
en tant que citoyenne et non artiste, à l’heure où, à Rafina, plus de mille
maisons ont brûlé. Plusieurs centaines de voitures restent abandonnées sur la
route reliant Rafina à Athènes. Des personnes sont mortes dans la cour d’une
taverne à Mati (station balnéaire, nord-est d’Athènes), sans avoir la chance de
pouvoir rejoindre la plage, ce qui laisse imaginer la rapidité de propagation
des phénomènes. Les vents sont violents et des personnes ont péri dans la
mer, mouvementée. Il y a des dizaines de morts.
Androniki
parle. Elle pose des questions graves. Et à travers sa voix, il faut entendre
la détresse de ce monde si proche du nôtre.
-
Entretien avec Androniki Skoula réalisé le 25
juillet 2018
Maison en feu - image libre de droits, source et lieu indéterminées |
Cela
fait longtemps que la Grèce est concernée par les incendies à la période de
l’été. Ces derniers jours, le phénomène
encercle Athènes, notamment sur ses fronts est et ouest. Le paysage est ravagé,
les images dramatiques et très impressionnantes. Toi, citoyenne d’Athènes, que
vois-tu autour de toi en ce moment ?
Androniki
Skoula :
La situation est exactement celle que tu décris. Les Athéniens sont choqués,
mais en même temps ils ont fait preuve d’une
impressionnante réactivité pour apporter l’aide nécessaire aux gens qui
ont besoin de soins et de médicaments, de nourriture, de sang.
Les images se répandent comme des
cauchemars. Des mères courent au milieu du feu, des enfants dans leurs bras. Vingt-six
personnes ont été retrouvées morts, dans les bras les unes des autres, s’embrassant
sans doute de terreur – piégées,
brûlées. On dirait Pompéi après l'éruption de Vésuve. Nous sommes anéantis.
Nous prions pour les morts et pour les personnes disparues.
Les
feux ont démarré le 23 juillet 2018, et les Grecs sont atteints dans leur chair.
Certaines personnes de ton sérail ou
certaines de tes connaissances sont-elles touchées par les incendies ?
Non, ils n'y a pas de gens que je
connaisse personnellement, qui soient concernés ; mais ça ne fait aucune
différence. Aujourd’hui, ces inconnus qui souffrent deviennent mes amis. Tout ce
monde qui cherche des personnes de sa famille parmi ces terres brûlées, entre
aujourd'hui dans nos familles . Face à pareille drame, les frontières des relations
humaines s’évanouissent.
Androniki (premier plan) - au fond, Chritos Antoniou [source photographie : Chaostar FB] |
Quelle atmosphère règne-t-il dans la ville d’Athènes ? Que ressens-tu, toi ?
Je ressens que cette fois, à travers une tragédie telle que celle-ci, notre patience a atteint ses limites. L'atmosphère, à Athènes, est dominée par une seule question : « Pourquoi ? » Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné, réellement et une fois encore, dans l’organisation du système d'Etat ? Qui sont les responsables et quand ces responsabilités seront-elles définies ? Y a-t-il des zones sur lesquelles il n’aurait jamais fallu construire des maisons, à ce point isolées et éloignées des points de sécurité ?
Comment la solidarité s’organise-t-elle, de ce que tu peux en voir ? Sens-tu, toi, les autorités grecques mieux préparées aujourd’hui par rapport, notamment, aux épisodes de 2007 ?
Aujourd’hui, la solidarité est en pleine effervescence ! Nombreux sont les gens qui laissent leurs travail, leurs familles et leurs responsabilités quotidiennes pour aider leurs concitoyens en souffrance. Quant aux autorités, non, je ne crois pas qu’elles aient été suffisamment préparées pour éviter cette tragédie. Et je ne me sens pas en sécurité, pour plusieurs raisons. Les questions se posent. L’Etat, d’abord, déploie-t-il les moyens nécessaires pour nous mettre en sécurité ? Existe-t-il des zones repérées en forêt qui présentent un caractère dangereux, connu, pour aller jusqu’à y interdire l’urbanisation ? Est-ce que ces zones sont précisément et clairement distinguées par rapport à celles qui ne sont pas considérées comme dangereuses ? Quelle aurait été l’ampleur de la tragédie si les feux avaient pris lieu pendant le weekend, alors qu’un grand nombre des Athéniens visitent Mati, à savoir la région qui est touchée le plus sévèrement ? Aurions-nous encore plus de morts ?
Il semble
ne pas exister d’obligation d’assurer sa maison en Grèce. La voir brûler, c’est
perdre définitivement quelque chose de très important dans sa vie, sans recours
pour une compensation matérielle et financière.
Est-ce que cet état de fait te choque ou non, alors que la maison semble,
dans la culture grecque, un objet d’attachement extrêmement fort ?
Je ne connais pas très bien le cadre
légal relatif aux assurances habitation, mais une chose est sûre : voir ta
maison en feu est insupportable.
Quel
est le sentiment autour de toi et chez toi, concernant la causalité des
incendies ? Quinze départs de feu simultanés ont été constatés autour
d’Athènes en début de semaine, un autre
départ est repéré à l’ouest d’Athènes
ce mercredi 25 juillet 2018. Les gens croient-ils à une cause strictement
climatique (vents violents, sécheresse,
températures fortes…) ou pense-t-on en Grèce que le phénomène climatique se
cumule à des faits d’origine criminelle ? Certains commentaires évoquent
une tendance spéculative immobilière en Grèce, d’autres imaginent des pyromanes
à l’action...
Les pyromanes et actions criminelles offrent bien sûr de
possibles coupables et explications. Nous ne sommes évidemment sûrs de rien pour l’heure… La structure climatique grecque est propice à
la survenance de phénomènes incendiaires,
il y a un terreau favorable à des départs de feu, mais… simultanément, quinze départs ? Comment cela se fait-il ?
On peut supposer une action criminelle, mais on attend… Chaque été, sempiternellement,
nous faisons face à cette tristesse. Tout cela ne peut être le fruit du seul
hasard.
A
quel point crois-tu la conscience
environnementale développée en
Grèce ? Sens-tu la société grecque désireuse qu’une parole soit portée à
l’intérieur d’elle-même et vers le monde en faveur d’un travail sur l’enjeu
climatique ?
Pendant
les dernières décennies les Grecs ont progressé dans leur conscience
environnementale, mais cela ne suffit pas. Pourtant ce cas particulier implique
encore et toujours plus le développement de notre responsabilité. Des citoyens
plus responsables, un Etat plus responsable. À ce compte-là, enfin, la
prochaine fois, nous parviendrons à
sauver nos vies. ǂ
-
Mes pensées et ma solidarité de coeur vers nos cousins grecs & vers Androniki, que je remercie personnellement pour le temps pris à témoigner dans cette période de trouble et de drame collectif.
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